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Nouvelles du monde

Acte de solidarité

Par une belle journée de décembre, le soleil est haut dans le ciel, il fait froid mais beau, froid
et beau. Je déjeune avec mon amie Sophie. Sophie, une amie chère, une femme sur qui on
peut compter, sur qui je peux compter. Elle est multiple, forte et fragile, elle est une
ressource quand je suis forte et quand je suis fragile. Elle est un peu une mère aussi pour
moi. Même si elle n’en a pas l’âge, elle en a l’image. Et puis, elle m’a aussi permis de devenir
mère. Elle m’a accompagné tout le long de ce processus long et couteux vers la maternité,
ma maternité. Elle est là, très présente, depuis que Neyla, ma fille, est arrivée, juste avant et
puis après, je l’appelle SOS pédiatre. Sophie est aussi une femme de tête, une femme libre,
une femme de cinéma. Elle a joué dans un de mes films, son propre rôle, elle y a dit sa
sensibilité. Elle est une de mes rencontres, une de ces rencontres sans lesquelles on ne
serait pas ce qu’on est. Elle continue de m’aider. Elle me soutient sans compter. Elle est aussi
poil à gratter. Elle est de ces amis qui font preuve de générosité. Acte de solidarité.

Je pense à tout ça avenue des Champs-Élysées. Je suis en avance, je m’arrête prendre un
café à La Belle Ferronnière, une brasserie où nous avons l’habitude d’aller. Un café allongé
s’il vous plait et des sucrettes. Je me mets en terrasse chauffée, je me demande si ça plaira à
Sophie, sinon, nous nous déplacerons, elle est une femme qui sait ce qu’elle veut et où elle
s’assied. Je sais. Bip. Mon portable sonne, elle m’envoie un texto, en réponse au mien. Elle
ne veut pas être en terrasse chauffée, ni à l’intérieur d’ailleurs, elle préfère manger chinois,
chez Diep, c’est sa cantine, pas de problème ou si un en fait : je n’ai pas un sous en poche,
j’ai oublié ma pochette avec ma carte bleue et ma monnaie. Je le sais, près de chez moi, j’ai
déjà pris un café, mais, à l’italien style, ils me connaissent, ils me font crédit. Ici, je ne
connais personne et le café n’est pas au même prix. Trois euros quatre-vingt-dix le café, ce
n’est pas donné. On est tout prêt de la plus belle avenue du monde, mais quand même,
drôle de société, imaginez qu’en francs, j’ai connu les francs, on est à vingt francs le café. Et
après, il ne faut pas s’étonner que ceux qui ont les revenus les plus bas demandent un peu
de solidarité. Oui, il ne faut pas s’étonner. Je suis solidaire de ce mouvement en jaune,
même si les casseurs me désespèrent. Bon, là n’est pas la question, quoique. En tout cas,
pour payer mon café, je n’ai que mon chéquier. Je vais voir mon serveur adorable, je suis
désolée, je n’ai pas un sous, j’ai oublié ma pochette, mon argent, ma monnaie, je n’ai que

mon chéquier, je peux vous faire un chèque mais pour trois euros quatre-vingt-dix, je ne sais
pas si vous pouvez. Le serveur n’a pas l’air plus que ça préoccupé. Il me renvoie au chef de
salle, tout aussi charmant. Je recommence, j’ai oublié ma pochette, mon argent, je suis
désolée, j’ai mon chéquier, mais je ne sais pas si pour trois euros quatre-vingt-dix c’est
possible, je suis vraiment désolée. Vous habitez le quartier ? Non, non, je n’habite pas le
quartier. Pas de souci, il sourit, il va voir sa patronne en cuisine et il revient en me disant,
que non, que je ne lui dois rien du tout que le café est offert avec le sourire en plus. C’est
mieux que parfait. Je suis touché, très. Je me dis que j’ai de la chance. J’ai souvent cette
impression fugace au milieu des nuages de mon esprit embué, d’être une privilégiée.
Quelqu’un à qui il arrive de belles choses, de beaux moments, des signes d’humanité, actes
de solidarité. Je souris à mon tour, merci, merci, merci, et je m’en vais rejoindre mon amie le
cœur léger. Je m’installe à sa table préférée, ici je la connais, je lui laisse la banquette, je
sais.

Sophie arrive avec le sourire et un cadeau, une carte pour les écrans de Paris, grâce à elle, je
vais au cinéma plus souvent que le temps ne le permet. C’est une carte privilège, je me sens
privilégiée, je le lui dis. Elle me répond en riant, oui, c’est vrai. Oui, c’est vrai et le déjeuner
est aussi délicieux que le moment, de ces moment où la conversation coule toute seule de
sujet en sujet, les enfants, les voyages, nous-mêmes, le cinéma, les rencontres. Mon cœur
est léger, oui, et ce n’est pas si souvent, souvent mon cœur est embué des restes du passé.
Là non. Le présent s’ouvre, il est un présent. Au sens strict. Au moment de payer, je sors
mon chéquier, évidemment, mon stylo ne fonctionne pas, et voilà, le serveur m’offre un
stylo et un à Sophie aussi. Je me dis que la journée est au beau fixe. Acte de solidarité.

Un peu plus tard dans la journée, après une pub enregistrée je dois rejoindre une autre
amie, Natacha et mon téléphone n’a plus de batterie. Tant pis, j’avance, je prends le métro,
elle m’attend. Natacha m’a proposé de venir passer un essai pour des jeux vidéo. J’ai été
touchée, qu’elle y pense, qu’elle le propose, qu’elle soit tout simplement qui elle est.
L’attention de ceux qui m’entourent me touche toujours, je la trouve souvent inattendue. Je
n’attends rien le plus souvent, peut-être parce qu’autrement j’attendrais trop ou je serais
trop déçue si je n’avais pas, je ne sais pas. Je sais que j’ai quelque chose à entendre. Je sais
que j’aime donner, que c’est compliqué pour moi de recevoir, et encore plus de demander.

C’est comme ça, ça change. Aujourd’hui, oui, aujourd’hui visiblement, précisément, ça
change. C’est ce que je me dis en pensant à Natacha et à sa générosité. C’est ce que je me
dis aussi quand Gare de Lyon, je m’arrête devant un plan vu que mon téléphone a cessé de
fonctionner. Je ne retrouve pas la rue que j’ai déjà eu bien du mal à la retrouver dans mon
cerveau, c’est comme ça, en dehors du fait que notre mémoire est de moins en moins
sollicité, grâce ou plutôt à cause de toutes ces machines qui nous assistent, ce moment je
suis fatiguée. Je ne dors pas depuis des années mais l’arrivée de ma fille me rappelle que les
batteries, les miennes et pas seulement celle de mon téléphone, ont besoin d’être
rechargées. Mais, bref, je crois, je sais que je dois retrouver Natacha chez Lion Bridge,
quatorze rue Trousseau. N’empêche, je ne trouve pas la rue sur le plan. Je demande à une
jeune femme elle aussi arrêtée devant le plan si on peut regarder, sur son téléphone.
Pardon, mon téléphone n’a plus de batterie, la rue n’est pas sur le plan, on peut regarder sur
le vôtre ? Oui, bien sûr. Acte de solidarité. Elle sort son téléphone, on cherche, on ne trouve
pas, on cherche encore, on trouve, elle ne me laisse pas comme ça, vérifie, lit les noms de
rue, regarde avec moi la meilleure sortie. La générosité de cette jeune femme est comme
celle de mes amies, preuve de son humanité, elle m’offre de son temps comme cet inconnu
avant elle, un stylo et celui d’avant un café. Oui, c’est ma journée. Je souris en dedans et en
dehors, le temps est clair un peu partout même à la nuit tombé.

Je fonce, ce n’est pas tout près, je me dis que mon amie m’attend, je ne voudrais pas qu’elle
m’attende trop longtemps et elle ne peut pas me joindre. Je fonce, j’arrive quatorze rue
Trousseau et devant une porte fermée. Merde. Est-ce que je me suis trompée ? D’adresse ?
De nom ? C’est possible, j’ai le cerveau fatigué oui vraiment, et je n’écris pas assez pour me
reposer. Bon, heureusement, j’ai un chargeur de batterie. Je rentre dans un pub, un jeune
homme est derrière le bar, le reste est désert. La musique est à fond. Excusez-moi, je
cherche un studio d’enregistrement, j’ai dû me tromper, je n’ai plus de batterie, je ne peux
pas vérifier, appeler mon amie, je peux vous emprunter une prise ? Je me demande
fugacement comment on faisait avant ? On n’avait pas besoin d’électricité, on notait tout sur
du papier, c’était mieux pour la planète et notre mémoire. Le jeune homme me répond
immédiatement, oui, bien sûr, aucun souci, le jeune homme est charmant, il me montre une
prise. Vous voulez boire quelque chose ? Non, merci. Même pas un verre d’eau. Genre non,
je ne pousse pas à la consommation, juste je veux te proposer de te désaltérer. Je souris.

Acte de solidarité. La générosité est partout dans l’humanité pour peu que soudain, on laisse
le beau arriver. Mon téléphone se remet à fonctionner, et oui, je me suis trompée, je me
souviens du nom du studio, Lion Bridge, c’est 14 rue Moreau. Pas si loin mais il faut filer. Je
raconte tout ça à ce jeune homme qui ne m’a rien demandé. Je lui dis merci et lui offre mon
plus beau sourire, de toute façon, je n’ai rien d’autre. Je file. Merci la vie.

Je file et j’arrive au bon endroit. Natacha était inquiète, je ne lui raconte pas tout ça, juste
que c’était loin, ce qui est aussi vrai, et puis, on est un peu pressé, je n’ai pas pris, eu le
temps de lui dire, je me suis perdue, trompée, ma batterie, non, elle fume une clope et hop,
derrière le micro. Acte de solidarité. Je m’amuse, transforme l’essai, j’espère. Elle me
présente la chargée de production qui me demande si j’ai des extraits, et oui, j’en ai, sur
mon site. Et oui, on peut les télécharger. J’ai une pensée pour Pascale, qui m’a fait mon site
et qui est devenue une amie. J’ai rarement rencontré, autant de talent et de persévérance
mêlés. Elle seule sait ce qu’elle a fait. Et moi aussi oui, infiniment. Et puis, comme si ça ne
suffisait pas, Natacha m’offre un éclair au chocolat. Nous allons prendre un verre, l’air est à
l’amitié, aux enfants, au théâtre, à l’amour, à l’art, à ce qui est partagé. L’amour oui, sous
toutes ses formes et l’amitié en est une absolument. Évidemment au moment de payer,
soudain, merde, je n’ai que mon chéquier. Mais non, Natacha avait prévu de m’inviter. Elle
et sa générosité.

Et je pense à mes amis, et je me dis que je suis bien entourée. Acte de solidarité. Je pense
que depuis longtemps je voulais en parler, de mes amis, de leur solidarité. Je pense à Sophie,
à Natacha, à Pascale, mais à Lucie, à Catherine, Vanina, Anne-Laure, Delphine, Armelle,
Marie, Deborah, Pascale, Dorothée, Pamela, Mélanie, Juliette, Sophie, Ilana, et à Margot,
Sandra, Elodie, Coralie, Stéphanie, Christèle, Millie, et j’en oublie, et à des hommes aussi,
Mathieu, Hervé, Jean-Loup, Régis, Manu, Yannick, et à tous les autres aussi, bien-sûr j’en
oublie, et ceux que je vois moins, et les inconnus, et puis à ma famille, Catherine et Philippe,
mon ami, famille. Oui, j’ai de la chance, je suis bien entourée, je partage avec eux tous et
ceux que j’ai oublié, ou que je n’ai pas cité, le goût du partage, de l’amour et de l’art, c’est
comme ça, dans ma vie, même si ce n’est pas aisé, j’ai toujours aimé tout mélanger.

Je pense à ça et je me dis que la vie est surprenante, qu’elle m’envahit de son humanité,
aujourd’hui mais hier et sans doute demain, de ces cadeaux qui font l’envie de croire en la
beauté de l’humanité, celle de mes amis, celle de ces inconnus, au coin d’une rue, au détour
d’un sourie. Acte de solidarité. Acte d’humanité. Je me dis qu’il y a tellement d’humanité
dans l’air, entre nous, pour qui sait regarder.

« La seule façon de traiter avec un monde non libre est de devenir si absolument libre que votre existence même est un acte de rébellion. »

Albert Camus