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Nouvelles du monde

L’Italian Style Café

Au bout de mon passage, un peu à gauche, à l’angle de la rue Amelot et de la rue Saint Sébastien, il y a un café. L’Italian Style Café. Un rade. Un rade ? Non. Un café de quartier, ni plus, ni moins, mais avec une terrasse en hauteur, couverte, chauffée en pleine hiver et délicieuse, ouverte, l’été. A l’Italian Style Café, la clientèle est variée. Les bobos parisiens du 11ème, dont je suis, évidemment, côtoient les vendeurs de chez Merci, juste en face, très bobos parisiens eux aussi, qui côtoient les touristes de l’hôtel les jardins du marais, juste en face, 4 étoiles s’il vous plait. C’est chic le marais, so chic, un peu encanaillé, comme à l’Italian Style Café. Parce qu’à l’Italian Style café, il y a avant tout les commerçants du quartier. J’ai nommé les piliers de bar, les habitués, Gilles, le buraliste, Jacques, le teinturier, Mamadou, le cordonnier, Tareck, le serrurier, et quelques autres que je ne connais pas, mais que je reconnais. Il y a aussi Édith et Bernard, respectivement, 83 et 94 ans, un couple, marié depuis 50 ans, d’une élégance folle, au propre et au figuré. Ils se parlent comme s’ils venaient de se rencontrer, et ils déjeunent le plat du jour, tous les jours, à midi 30 à l’Italian Style Café, ils ont leur table réservée. Il y a aussi Huguette et Frère, les deux sœurs célibataires, Frère c’est drôle pour le nom d’une sœur, bref, Huguette et Frères, les deux sœurs inséparables, la soixantaine franchement dépassée, qui prennent leur café tous les dimanche matins, après leur courses au supermarchés, Carrefour City le bien nommé. Et puis, David, qui y trainent tous les matins, souvent avec Les deux Alain, les deux font la paire, et aussi à toutes heures de la journée, seul ou accompagné, un peu comme moi, juste pour le plaisir d’un sourire. En plus d’un café.

A l’Italian Style Café, Hacène est derrière le bar, la journée, Djamel, le soir. Ils sont là depuis 9 mois, pas plus. Ça change souvent à l’Italian Style Café. En fait, c’est la clientèle qui fait le café, une clientèle de quartier donc, ou plutôt le quartier en entier. Et les autres. Il y a quand même Galina. Galina, elle, elle ne bouge pas. Les gérants passent, elle reste là. 9 ans qu’elle est là. Elle est la maman du quartier avec ses 55 ans et son caractère, sa vraie attention et son franc parler. Il y a ceux qu’elle aime et ceux qu’elle n’aime pas. Elle ne se prive pas pour le dire. Les deux. C’est comme ça, comme en vraie amitié, on se dit les choses, parce qu’on sait qu’elles ne sont pas dites pour blesser. Elle est comme ça Galina. Elle dit, lui, ce mec, je ne l’aime pas. Il ne te mérite pas. Elle dit, attends, j’ai pas le temps là. Elle dit aussi, ça va ? Ça va vraiment. Elle est comme ça Galina. Il y a les jours de bonne humeur et les jours sans. C’est ça l’Italian Style Café, les jours de bonne humeur et les jours sans, tu peux toujours passer, moi, mais tous les autres. Chacun a droit à son humeur et c’est très bien comme ça. De ne pas faire semblant. Un endroit où personne ne fait semblant. Ce n’est plus si courant.

Je passe à l’Italian Style Café, quasiment tous les jours, une fois par jour, souvent plusieurs fois. Par jours. Parfois, juste pour dire bonjour. C’est important pour moi. Ce lieu. L’Italian Style Café. J’y ai préparé des films en terrasse, j’y ai noyé mon chagrin dans des verres de vin, j’y ai pris des cafés après la piscine, tôt le matin, j’y ai annoncé mon désir d’adoption, j’y ai ris, j’y ai pleuré d’amour, ou plutôt de désamour, ce fameux mec que Galina n’aimait pas. J’ai entendu Galina me consoler, ou plutôt me dire qu’elle avait raison. Elle le savait. Que j’étais trop gentille. J’’y ai bu du champagne à Noël, pour mon anniversaire, pour fêter la nouvelle année, selon les années. Mon postier dépose mes livres et mes DVD, commandés sur Internet, là-bas, quand je ne suis pas chez moi. J’y emmène Mila. J’y lis mon JDD le dimanche. J’y donne mes rendez-vous. Pour tout. L’italien Style Café, c’est un peu chez moi. Un autre chez moi. C’est mon QG. C’est mon endroit à moi. A nous. Un café de quartier. Pour une vie de quartier.

Un café, pour lutter, un peu, contre la solitude ou plutôt, contre la seulitude, programmée, engendrée, crée, par notre société. Parce que, je l’aime, moi, la solitude. C’est la seulitude que je n’aime pas. Qui parfois me désespère. Au sens premier du terme. Elle me met au désespoir. La seulitude. L’absence de lien, de « comment ça va » vrais, pensés, qui attendent une réponse, la course, la course, au temps, au travail, à la vie, la course toujours plus effrénée, à mesure que les années passent, le travail, le travail, les enfants, le travail, les enfants, et puis le travail et éventuellement le conjoint, la famille, le cercle proche, restreint, parfois un peu les amis quand ils ont la chance d’être d’enfance, ou qu’on travaille avec eux, le travail, le sport, c’est un travail d’être bien, dans son corps, dans sa tête, le travail sur soi et un travail en soi, le travail. Et chacun courre, de plus en plus vite, pour rattraper le temps. Le temps qui passe inexorablement, à force que les années passent. Le temps est compté. Le temps, c’est de l’argent. Le temps file. Il devient une denrée rare. On n’a pas le temps de le perdre, tout juste d’envoyer un SMS, pas d’appeler, au cas où l’autre, moi, aurait envie de parler. On n’a pas le temps de le perdre, ni même de prendre un café. Parfois. Si. Souvent non. Sauf à l’Italien Style Café. Où le quartier vient pour ça. Justement. Pour prendre un café, un demi ou un verre. Pour prendre le temps de le perdre, à prendre des nouvelles, 2 minutes, 10 minutes ou 2 heures. Et, si je passe sur le trottoir d’en face, ce qui ne m’arrive jamais, je traverse, je rentre, je claque la bise, à Hacène et à Galina, parce que quand même, tu n’allais pas ne pas nous dire bonjour, et que mon salut à la cantonade est accueilli par des sourires en retour. Et que, juste ça, c’est sympa. Juste ça. Un moment de chaleur. Tu n’es pas seule, on est là. Si tu as besoin. A l’Italian Style Café, quand ils te disent ça va, c’est vrai. Ils te posent vraiment la question. Et tu sais que tu peux ne pas répondre mais que, tout aussi bien, tu peux le faire, tu seras écouté. Prendre le temps de dire ça va. Ça va pas ? Prendre le temps de se tendre vers l’autre. Prendre le temps de ça, c’est prendre le risque d’obtenir une réponse autre que le, oui très bien et toi, d’usage, et de perdre du temps à l’écouter. A la place de travailler, d’être efficace, rentable, de rentabiliser ce temps qui file, qu’on perd à force de courir après. Je crois pourtant qu’on gagne du temps à le perdre ce temps-là. Parce qu’après tout qu’est-ce qu’il y a de plus important que l’amour ? Au sens général. Au sens du lien. Du refuge. En cas de joie. Et en cas de malheur. Il ne s’agit pas forcément de parler des heures. Non. Juste savoir que l’autre sera là pour t’accueillir. Même, s’il fait autre chose. Surtout s’il fait autre chose. Qu’est-ce qu’il y a de plus important que ça ? Le travail ? Non. Je ne crois pas. Même les créations, sauf exception, ne sont pas immortelles, le souvenir que tu laisses oui. Le souvenir de ton attention. De ce que tu as donné. Et de ce que tu as reçu. Le souvenir de toi. C’est ça le plus important. Au présent. Et dans l’avenir juste après. Le moment d’après. Quand tu passes la porte de l’Italian Style Café. Ou de chez toi. Ou de là où tu travailles. La trace. De qui tu es. Qui se souvient de nous dans notre société cloisonnée ? Même nos plus proches sont oubliés. Souvent. Sauf quand ils meurent n’est-ce pas. Parce que là, forcément, ils nous manquent. C’est ça, la seulitude, pour moi, je crois. L’oubli du souvenir. De soi. De l’autre. Et du temps que ça prend de le créer. Et du refuge que c’est. De savoir qu’on est un souvenir, une pensée, dans le cœur de l’autre, d’un autre, de plusieurs autres. Cœurs.

A l’Italian Style Café, on se souvient de moi. Et ça me fait du bien. Au cœur. C’est un refuge. Mon refuge. Un endroit où je peux être seule, accompagnée. Et je ne suis pas la seule. A avoir fait de ce café mon refuge, mon endroit de vie, de liens de vie, invisibles, les liens invisibles de la vie. Sans raison. Autre que de les fabriquer. Prendre un café. Il y a tous ceux que j’ai précédemment cités. Et il y a Malouf, un agent immobilier. Je n’aurais jamais dit ça, qu’il était agent immobilier. Comme quoi les clichés. Malouf, un agent immobilier donc, qui a un regard enfantin dans un large visage, et un corps massif comme pas trois, deux c’est trop peu, et qui boit un lait fraise s’il vous plait. La première fois qu’il l’a commandé, son lait fraise, devant moi, j’ai ri. Beaucoup. J’ai trouvé ça incongru. Génial. Drôle. Drôlement génial. Un personnage. Dans la réalité. Depuis, lui aussi je le connais. Il m’a donné envie de raconter ce fou rire. Il m’a donné envie de l’écrire. Cet homme à l’apparence d’une brute qui boit du lait fraise. Comme quoi, les apparences. Il m’a donné envie d’écrire sur lui. Et c’est sur l’Italian Style que j’écris. Parce qu’il ne faut pas se fier aux apparences. Et que ce café n’est pas qu’un café. Pour moi. Pour d’autres. Il est mon QG. Mon refuge. Mon lien. Alors c’est lui que j’écris. Lui et ce qui va avec. Tout ce que j’ai déjà dit. J’écris pour être moins seule. Aussi. J’écris beaucoup. Seule. Ceux qui écrivent aiment la solitude mais n’aiment pas la seulitude. Je crois. Écrire c’est créer du lien. C’est partager. Ses envies. Ses idées. L’Italian Style Café. Écrire, c’est dire j’ai envie de dire. De parler. De raconter. De trouver un peu de chaleur. Et d’en donner. D’échanger. De prendre un café, à l’Italian Style ou pas. Juste pour prendre le temps de se rencontrer. Un peu. Prendre, perdre, ce temps-là. Ce temps indispensable à la vie. La vie n’est rien sans l’autre. Le lien à l’autre. C’est ce qui reste de nous, je crois. Vraiment. Et c’est ce dont nous avons besoin même si on ne le sait pas. Un besoin de liens. D’inclusion. D’appartenance. Vivre sa vie. Même ensemble. Surtout ensemble. A l’Italian Style Café. Ou ailleurs. Pour ne pas s’oublier.

« La seule façon de traiter avec un monde non libre est de devenir si absolument libre que votre existence même est un acte de rébellion. »

Albert Camus