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Nouvelles du monde

Identité

Un jour de décembre. Il fait beau. Un soleil froid. Strasbourg Saint Denis. J’ai rendez-vous pour faire refaire ma carte d’identité. J’ai jeté mon portefeuille. Par erreur mais quand même, ça en dit long. J’ai jeté ma carte d’identité. Mon identité. Je change d’identité. Je refais ma carte d’identité. C’est un fait. Je vais à l’antenne de police du 10eme. Il faut beau. Le soleil réchauffe les esprits. A la sortie du métro, je photographie la photo d’un couple qui s’embrasse sur les Champs-Élysées. La photo est reproduite, collée, associée à une banque. A un distributeur automatique. Je photographie. C’est joli. C’est étrange. L’amour synonyme de monnaie. L’amour se monnaye. Payer pour être aimé. Je me dis tout ça ou à peu près. Les Champs-Élysées. Le chic français. L’amour français. Les Champs-Élysées. La plus belle avenue du monde. La France. L’identité. J’en suis là. Il fait beau. J’ai rendez-vous pour refaire ma carte d’identité. Je ne veux pas être en retard. Je laisse la question de l’amour et de l’argent de côté. Mon identité. L’antenne de police du 10ème. Je raconterai bien l’histoire de la photo, juste pour le plaisir de partager. Je n’ai pas le temps, je suis appelée. Guichet C. Une femme.

Bonjour. Elle me regarde à peine. Vous avez rempli le dossier ? Non. Ses sourcils se lèvent, légèrement excédés. Il fait beau. Le soleil brille par la fenêtre. Il rentre dans l’antenne de police, il n’arrive pas jusqu’à elle. La déclaration de perte ? Non plus. Je ne sais plus si c’est elle qui le dit. Ou moi. Je souris. Elle ne sourit pas. Justification de domicile ? Oui. Timbres fiscaux ? Oui. Je cherche. Je vide une pochette, j’ai celui de 20 euros, il me manque celui de 5. Des cartes à tout va. Des papiers. Des photos. Elle soupire. Je le trouve. Voila. Photo ? Je lui donne mes photos. Elles ne sont pas terribles quand même. Je lui dis. Elle ne dit rien. Coupe. Colle. Rempli. Le formulaire, jusqu’au bout. Je pense à mes photos, je n’ose rien dire. Le formulaire. Oui ? Jusqu’au bout. Oui madame. Yes Sir. Heil Hitler. Ça me traverse l’esprit. Entre le petit abus de pouvoir et le grand, il n’y a qu’un pas parfois. Je pense à mes photos, à mon identité. Ce n’est pas possible. Cette photo n’est vraiment pas jolie, je n’ai pas envie qu’elle soit mon identité. Je me demande pourquoi les photomatons sont si laids. C’est dommage pour faire des photos d’identité. Je regarde le soleil. Il me sourit, c’est important de se trouver jolie. Excusez-moi mais cette photo, vraiment, ce n’est pas possible. La réponse fuse. C’est comme ça, c’est fait, c’est collé. C’est votre identité. Sur votre carte d’identité. Mais. C’est comme ça. J’envoie le dossier. Vous n’aviez qu’à le dire avant. C’est fait, c’est collé, c’est envoyé. Je respire. Je vais au métro et je reviens. Non. C’est envoyé. Collé. Fait. Votre identité. S’il vous plaît. Il fait beau. Le métro. 10 minutes à tout casser. Non. Si les photos ne sont pas conformes. Vous devez vous conformer. S’il vous plaît. Elles seront conformes. Je n’ai pas besoin de me conformer. Je vais refaire mon identité. Ma carte d’identité. Elle cède. La mairie c’est plus près. Ah oui ? C’est où ? La porte à côté. Littéralement. La mairie est la porte à côté. 10 minutes. Pas une de plus. Ok. J’y vais. Clic clac. Je me demande si j’ai bien fait. Je me remets en question. L’émotion, parfois, me fait perdre la raison. Nouvelles photos. Vraiment mieux. Ce photomaton est lumineux. Je préfère. Si je rencontre un homme, je pourrais lui montrer ma carte d’identité, c’est ce que je pense. J’ai le teint frais. J’aime mieux cette identité. L’antenne de police. La porte d’à côté. A peine le temps de dire bonjour au soleil, je suis déjà revenue avec ma nouvelle identité. Mes nouvelles photos d’identité. Je les lui tends. Je souris. Merci. Elle ne sourit pas. Elles ne sont pas conformes. Elles ne sont pas conformes ? J’ai presque entendu je vous l’avais dit. Pas conformes ? Non. On doit voir vos sourcils en entier. Mais on voit mes sourcils. Non. Le cheveu là. Un cheveu cache un peu de mon sourcil. Mais, c’est la même chose sur celles sur lesquelles j’ai le teint gris. Non. Il y a un cheveu. La mèche. Elle était de mèche avec elle-même. Je me tais. Parfois, les combats sont perdus d’avance. Rien ne sert de lui expliquer et sa mauvaise foi et son désir de faire sa loi. Rien ne sert de lui dire que le monde irait mieux avec un tout petit peu plus de flexibilité, d’empathie et de liberté. Rien ne sert de lui dire que, et si tout le monde faisait comme ça n’est pas un argument de poids. Parce que si tout le monde faisait comme moi, il n’y aurait pas d’excès, juste des exceptions. Et qu’il y a aussi ce qu’on appelle l’autorégulation. Rien ne sert de lui dire que l’amour est vecteur de création quand la peur est le terreau de la haine. Rien ne sert. Je me tais. Je ne vais pas commencer. Je ne la connais pas. Je me mêle souvent de ce qui ne me regarde pas. Mais là, je sais que ça ne servirai à rien. Je ne dis rien. Rien ne sert de lui demander pourquoi elle est malheureuse. Parce qu’elle l’est, forcément. OK. J’y retourne. La mairie. La porte à côté. Je n’ai pas la monnaie. Je n’ai plus de monnaie. Personne n’a la monnaie. Un homme regarde ma photo. Pas conforme. N’importe quoi. Un cheveu. Une mèche. Pourquoi pas une moustache ? Heil Hitler. Ça a failli m’échapper. Je ne sais pas pourquoi. Entre les petits abus de pouvoir et les grands, il n’y a parfois qu’un cheveu une mèche, une moustache. Il n’empêche. J’ai mes photos d’identité grises. Celles pas conformes. Cernées. Le teint frais. Et pas de monnaie. Je sors. Un salon de coiffure africain. La rue à côté. Je vois des femmes à l’intérieur. Des produits de beauté. Je ne dis qu’elles auront peut-être de la monnaie. Et même de l’anti cernes. Tant qu’à faire, un mal pour un bien. Je serais encore plus jolie sans mes cernes sur ma carte d’identité. Mon identité

Bonjour. Une femme en coiffe une autre. La patronne, visiblement. Le soleil ne rentre pas dans la boutique mais il va jusqu’à elle. Bonjour. Elle me sourit de toutes ses dents, éclatant, le soleil. Vous avez du fond de teint et de la monnaie ? Je voudrais faire des photos d’identité. Oui. Avec plaisir. Je vous fais de la monnaie. Je ne sais pas s’il me reste du fond de teint. Deux petites filles jouent. Bonjour. Bonjour. Leila, il reste de fond de teint. Oui. Tu me l’apportes. Je vous fais la monnaie déjà. Elle me donne un billet de 5 et 5 euros en pièce. C’est ce qu’il me fallait. C’est parfait. Je vais pousser ma mèche, avoir une photo d’identité avec le teint frais. Leila, le fond de teint, ça vient. Une jeune fille sort d’une pièce à côté. Le fond de teint, tu peux lui prêter. C’est pour des photos. Son identité. Je souris. Merci. Je croyais. Je voulais en acheter. Tu lui prêtes. Oui. Merci. Et du mascara. Voilà. Je me mets de l’anti cerne. J’aurais le teint frais et je ne serais pas cernée. Voilà. C’était un bien. Un peu de mascara. C’est bien aussi. Elle est repartie faire sa coiffure. Une petite fille rit. Moi aussi. Je pense à un film que j’ai écrit, les anges du désert. Le Sénégal. Les couleurs. Le soleil. L’essentiel. Je pense à la douceur aussi. Merci. Vous vous appelez comment ? Marie. Marie c’est joli. Une figure maternelle aussi. Un prénom français. Je pense que c’est bien. Que la gentillesse n’a pas de couleur. Et que pour moi, elle est noire, aujourd’hui. Je pense à la France. À son identité. Pas que les Champs Élysées. La mixité. La diversité. Les coiffeurs de Strasbourg Saint Denis. Marie. Je pense que l’amour ce n’est pas de la monnaie. Mais que je viens d’en recevoir en demandent de la monnaie. Je me demande si je ne fais pas du racisme à l’envers. Est-ce que ce n’est pas raciste de relever que Marie est noire ? Est-ce c’est juste de noter que c’est une femme noire qui m’a fait une jolie identité, une femme blanche qui veut me conformer. Réduire. Enlaidir. Mon identité. Celle de la France.

Je vais à la mairie. Photomaton. Conforme. J’appuie sur le bouton. Des photos. Je pense à ma mèche. Je suis à un cheveux près. Mais je ne chipote pas quand je pense tout ça. J’aime l’ailleurs. L’autrement. La liberté. La beauté. La diversité. Des identités. La France. Ma carte d’identité. Française. La moitié de moi Égyptienne. Je récupère mes photos, mes photos plus jolies sans cernes, le teint frais, merci Marie. J’aime bien ces photos. Mon identité. Je me dis que c’est bien. J’ai bien fait. Je rapporte les photos. Conformes. Je ne me suis pas conformée. Je souris. Le bureau. L’antenne de police. Le soleil. Dans ma vie. Voilà. Merci. Je préfère, comme ça, je sortirais ma carte d’identité plus facilement. C’est vrai qu’on la sort tous les jours. Je me demande un instant si elle se moque. C’est vrai que je la sors rarement ma carte d’identité. Pas comme Marie. Ou plutôt son père, ses fils et ses frères. Je choisi de ne rien dire. Rien ne sert de lui dire que l’identité c’est une image mais pas que. Que la beauté a la couleur de l’amour. Que le monde serait plus doux si tout le monde était comme Marie. Qu’elle aurait, elle aussi une plus jolie vie, si elle regardait le soleil aussi. Rien ne sert. Mon sourire ne l’éclaire pas. Alors je dis aussi la vérité. Merci. Merci d’avoir fait une exception. Au revoir. Elle ne répond pas. Ne me regarde pas. Tant pis. C’est elle qui perd, moi pas. Moi, j’ai rencontré Marie. Aujourd’hui, je préfère l’identité noire de la France. Et si c’est du racisme à l’envers tant pis. Si je compare aussi. La gentillesse n’a pas de couleur. La bienveillance non plus. Je suis française, à moitié égyptienne. Mon identité n’est pas possible à résumer. Je ne suis pas conformée. Je suis du côté de ceux qui aiment. Du côté de la beauté. De ceux qui me font une jolie identité. C’est mon identité.

« La seule façon de traiter avec un monde non libre est de devenir si absolument libre que votre existence même est un acte de rébellion. »

Albert Camus