Le silence
La Bolivie. L’altiplano. Le sud Lipez et le Salar d’Uyuni. 4 jours à travers l’immensité et la majesté d’un paysage somptueux, changeant et désertique. Road trip dans les grands espaces. Rien que nous, moi, mes compagnons de voyage, 4 4×4, et la nature. Une route, une piste et des centaines de kilomètres de nature. Une nature à perte de vue. Une nature qui prend des habits de sable ou de sel, plate ou en rondeur de montagnes. Une nature qui se pare de Lagunas, verde ou colorada, de volcans, de roches rouges, jaunes ou noires. Une nature à couper le souffle de beauté. Une nature de terre. Espace immuable vivant qui toujours m’apaise. Et soudain, je me pose. Ma respiration se calme, devient profonde. Je suis envahie d’un profond sentiment de réconciliation. À l’intérieur. Je suis une. Une à l’intérieur. Une avec la terre. Absolument une. Dans mon 4×4, nous sommes 5. Deux couples charmants, très gentils au demeurant, contents, d’être là. Gais. Sociaux. Bavards. Présentation. Pas de fond. Et puis, très vite, évidemment. Pourquoi évidemment ? Les voyages. Ceux d’avant. Ceux d’après. Le Chili. Le désert d’Ottawa. L’argentine. L’un des couples fait un voyage autour du monde. 10 mois de voyage. Le Japon. L’Indonésie. J’écoute d’une oreille. Je ne dis rien. Je suis devant. Je regarde le paysage. Je pense à tous ces paysages splendides que j’ai vu au cours de ma vie, au cours de mes voyages. Cette sensation sans cesse renouvelée de beauté. La légèreté. Nécessaire. La contemplation. Le silence. Dieu est nature. Je pense aux grands espaces. J’aime les traverser. Traverser des kilomètres de rien et y trouver mon esprit soudain tranquille. Mon cœur apaisé. Je pense que j’aime le silence des grands espaces. L’immensité du silence. Vivant. Derrière, ils continuent leur énumération. Et le Pérou. Et le Costa Rica. Avant. Et la nouvelle Calédonie. Et la Polynésie. Après.
Je pense à mes voyages. Je n’ai pas très envie d’en parler, de faire une liste, de comparer. Je n’ai pas envie. Je me tais. C’est tentant pourtant. De dire. De combler. Le vide. Avant que le cœur s’apaise, l’esprit s’affole. Mes pensées. Je pense que parler des paysages d’avant ou d’après empêche de vivre celui-là, celui qu’on traverse là, maintenant, tous ensemble, dans le présent. Le présent de cette beauté évidente. J’ai rarement vu un paysage aussi beau. Je me tais. Je regarde. Je ne me sens pas asociale. Juste, je n’ai pas envie de parler. J’ai envie de regarder. Et de profiter. Du silence de l’immensité. En silence.
Dans mon 4×4, le silence se fait. Une minute. Le temps de reprendre son souffle. Le temps de trouver une plaisanterie, de rebondir sur ce que tu fais dans la vie, de montrer des photos, de raconter ses espoirs de demain et ses envies d’hier. Et même ses inquiétudes d’aujourd’hui. À quelle heure on mange ? On arrive bientôt ? Tu as prévu la crème anti moustique ? J’ai savouré la minute de vrai silence, celle qui m’a permise d’entendre celui de la nature. En vrai. Mon cœur immédiatement apaisé. Une minute. C’est peu. C’est beaucoup. C’est assez. Pas assez. Je les entends derrière, mais je ne les écoute pas. Je pense à notre époque, à notre société, où il faut remplir, toujours, le vide, de mouvements, de connections, de bruits. Et même de méditation. D’actions. De faire. Donner à voir. À entendre. Sous prétexte de partager. Mes compagnons de voyage sont charmants, très gentils au demeurant, je l’ai déjà dit, mais, et, ils parlent tous le temps. Bruit de fond permanent. Je sais bien que je ne vais pas leur demander de se taire, ce serait malvenus, pas bien perçu. Je passe 4 jours avec eux. Je pense un instant à changer de voiture mais, c’est la même chose dans les autres voitures. À chaque pause devant les paysages à voir, à visiter, ceux qu’on ne peut pas rater, ils se retrouvent tous et parlent, se rencontrent, oublient de rencontrer le moment, là, de beauté. Ils font des photos. Souvent avec eux dessus. Bienheureux selfies. Des mises en scène. Du jeu et du rire. Ils pourront dire j’y suis allé. Et je me dis que ces paysages traversés en Bolivie rejoindront la liste des pays d’avant. Avant ceux d’après. Je pense que j’ai 4 jours de voyage et que si je veux en profiter, je dois m’adapter. Je pense que je dois faire un silence intérieur même si j’aurais aimé, aussi, un silence extérieur. Je pense que celui-là, je ne l’aurais pas. Dans les autres voitures, en plus des discussions, il y a de la musique. Pourquoi nous on n’a pas de musique ? La question fuse après la pause du déjeuner. Les autres, ils ont de la musique. Pourquoi nous on n’a pas de musique ? Je panique un peu. Je me dis que la musique, mauvaise, des années 80, le classico, comme ils disent, écoutent, en Bolivie et le bavardage incessant, ça va être beaucoup pour moi. Même si je prends beaucoup sur moi. Je respire.
Parfois la musique, une certaine musique, aide au silence. Intérieur. J’écoute parfois de la musique dans ces road trip en bus, les écouteurs créent une bulle. Là, il n’est pas question d’écouteurs, à 5 dans un 4×4 mais j’ai une petite enceinte, va savoir pourquoi je l’ai acheté à Sucre, je propose donc de mettre ma musique. Solution créative au brouhaha de leur voix. Aussi. OK. Je lance. En aléatoire. Pourvu que ça leur plaise assez. Ils rigolent, c’est ce qu’ils écoutent quand ils travaillent tard la nuit. Playlist planante de U-tube. Mais quand même, ça leur va. Tant mieux. Ils recommencent à discuter. Je les entends moins avec cette musique, ma musique, qui crée un peu de silence. Extérieur. Je regarde le paysage. Je suis sidérée de tant de beauté. Soudain, à nouveau le silence. Intérieur. Un éclat de voix. Ils parlent de Cuba. Je pense au silence. Je pense que peu de personnes savent apprécier le silence. L’accepter. Sans peur. Est-ce que le silence fait peur ? Parce que soudain le bruit des pensées, parfois un raz de marée, avant le silence. Intérieur. Je pense que c’est pour ça que je voyage seule ou avec ceux dont je ne parle pas la langue. Parce que je n’ai personne avec qui partager le silence. La beauté. Du monde. Je pense que c’est peut-être pour ça, aussi, que je suis seule. Parce que je n’ai trouvé personne avec qui partager le silence. À deux. Pas être deux, en silence à l’extérieur, enfermés dans un bruit intérieur. Non, quelqu’un qui sait être en silence et le partager, à l’extérieur. Je pense que j’aime le silence, même si parfois il m’incommode. Je pense que c’est peut-être pour ça aussi que j’écris. Parce que j’aime le silence.